• paysages en mutation

    industrie forestière :Paysages en mutation
    Normand Thériault
    Édition du mercredi 1er mars 2006
     
    Il y avait au Québec une forêt, inépuisable pensait-on. Puis il y eut un film, un rapport. Et l'on constate que l'homme et l'arbre ne font pas bon ménage. Pourtant, c'est par centaines de milliers que l'on compte les Québécois qui vivent de cette ressource première qu'est le bois
    Cabano, vous vous souvenez ? Peut-être pas. De ce petit village, toujours là sur les bords du lac Témiscouata, mais à l'apparence complètement transformée depuis que sa scierie, qui avait survécu auparavant à un incendie majeur ayant rasé en ce début des années 1950 une grande partie du village, est disparue. Une autre victime donc, aussi causée par la rareté avec le temps d'une ressource première, le bois. Les berges du grand lac ont ainsi été rendues accessibles aux citoyens de ce village, qui s'est développé autour de sa source première d'emploi, l'église, quant à elle reléguée avec son cimetière en haut de la côte, veillant ainsi de loin aux intérêts de ses ouailles. Ce Cabano oublié ? Sûrement pas par le nouveau ministre de l'Environnement et du Développement durable, député élu de cette circonscription où le bois a été pour ses commettants la principale source de revenus : Claude Béchard est né dans ce coin de pays où qui parle d'entreprise raconte une richesse générée par l'exploitation des ressources naturelles.
    Les Bûcherons de la Manouane, cela vous dit-il quelque chose ? Avez-vous en tête ces images où l'on voit ce campement indien, itinérant, qui débroussaille ces restes de forêt que les «vrais» bûcherons lui ont laissés pour assurer sa maigre pitance ? Ce film d'Arthur Lamothe rendait hommage à ces Québécois qui ont été longtemps le symbole d'un peuple travailleur ne craignant pas cet effort qui seul permet la survie.
     
    L'Erreur boréale ? Tous connaissent en terre québécoise ce film de Desjardins, ce chanteur-cinéaste-poète dont le projet actuel est d'étaler sur la place publique le triste sort réservé à 8000 Algonquins dont le territoire ancestral subit présentement les coups portés par les avancées d'une autre industrie d'exploitation de ressources, cette fois-ci les mines. Ce documentaire a d'ailleurs eu un tel impact qu'à sa suite une commission a été mise sur pied et que des droits de coupe ont été fortement réduits, conséquence des conclusions auxquelles le «rapport Coulombe» en était arrivé.
     

    Des milliards en jeu
     
    Le Québec est un vaste territoire. Les ressources naturelles y abondent. La taille de sa forêt représente ainsi l'équivalent de plus des deux tiers de toutes les forêts scandinaves. Son exploitation, conjuguée à celles des mines et plus tard de l'eau, explique historiquement que, des bords du fleuve, le peuplement a débordé vers des terres pauvres pour le rendement agricole et au climat à tout le moins rigoureux.
    Avons-nous toutefois le bois en mémoire qu'il faut voir son importance sur la vie économique et sociale des régions. C'est ce à quoi s'applique Guy Chevrette, cet ancien ministre devenu président et directeur général du Conseil de l'industrie forestière du Québec, quand il analyse les conséquences de toute modification aux règles actuelles : «Il y a d'abord des milliers d'emplois qui sont en jeu, lesquels sont de grande qualité et très rémunérateurs. Deuxièmement, ce sont des drames humains vécus dans les régions. Troisièmement, je dirais que c'est carrément la balance commerciale du Québec qui va commencer à chuter; elle affiche un surplus de cinq milliards de dollars parce que l'industrie forestière y contribue pour 10 milliards. Demain matin, elle serait déficitaire de cinq milliards si on n'existait pas.»
    La situation actuelle, dramatique, s'explique de plus d'une manière. D'autant plus qu'au Québec, qui dit bois dit papier. Et le dicton américain «What is good for General Motors is good for America» aurait pu ici se traduire par «Ce qui est bon pour la Consol (ou l'International Papers) est bon pour le Québec». Dans les deux cas, une gestion où le paiement de dividendes primait sur la recherche et le développement, de même que le recours continuel à des formules pourtant jugées ailleurs «dépassées», explique que des usines doivent aujourd'hui fermer. Aussi, il faut admettre que la surexploitation de la ressource, jusqu'à son gaspillage, a atteint son terme. Le modèle américain, qui prime toujours dans le secteur énergétique, n'a plus sa place : on entrevoit déjà le jour où l'exploration ne permettra plus de trouver de nouveaux lieux qui fourniront ce que l'on perd en fumée, d'un côté, et en gaz à effet de serre, de l'autre. Pour l'industrie forestière québécoise, ce jour est arrivé.
    Des régions en transformation
    L'industrie le sait. Et dans les universités, on s'applique à inventer de nouveaux procédés. Chez un grand «joueur» du secteur, Cascades, on produit toujours, s'appuyant toutefois sur une politique de recyclage, sauvant ainsi des forêts vieillissantes. Mais il faut faire encore plus.
    La population sera-t-elle d'accord ? Un indice est éclairant : dans les collèges régionaux, là où sont dispensés des DEC en formation forestière et autres secteurs connexes, les programmes qui tiennent la route sont ceux qui ont une saveur écologique. Car le bois a perdu la cote auprès des jeunes et cela est grave : des milliers d'emplois seront bientôt à combler et seuls les «aînés» semblent le savoir, les jeunes regardant ailleurs, ou quittant tout simplement leur territoire natal.
    Il ne faudra donc pas se surprendre si un jour on découvre que ces sont les «Indiens» des temps modernes qui sont devenus les maîtres de la forêt. Et que, pour de grandes régions, place sera faite aux villégiatures et aux «Skidoo» là où il y avait au départ campements et chenillettes.
     
     

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