• Un grand trou dans une aire protégée

    Un grand trou dans une aire protégée

    Dany Doucet
    Le Journal de Montréal
    07/06/2009 07h28 

    «Ce sont les compagnies forestières qui décident des limites des aires protégées au Québec. Quand la forêt n'est pas bonne pour elles, le gouvernement dit alors protéger le territoire qui reste pour l'environnement. C'est un non-sens.»

    Celui qui en a gros sur le coeur est un des promoteurs et instigateurs de l'aire protégée du lac Némiscachingue, l'une des rares réserves de biodiversité projetées dans le sud du Québec

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    Michel Desjardins est pourvoyeur sur une petite île au milieu de ce lac de 30 kilomètres de longueur. Lui et les Autochtones atikamekws de la réserve Manouane, située à une vingtaine de kilomètres au sud à vol d'oiseau, sont les deux groupes qui avaient demandé à Québec de protéger ce lac exceptionnel pour la pêche, sa faune, sa flore et aussi pour son histoire.

    La bonne nouvelle de mai 2008, annoncée en grande pompe, a laissé place aujourd'hui au désenchantement, à l'inquiétude et à la colère.

    Québec a bel et bien protégé 23 kilomètres carrés contre toute exploitation des ressources naturelles, mais dans ce territoire, on inclut l'eau du lac, un secteur escarpé inaccessible aux machineries et un autre secteur qui est déjà passablement endommagé par l'exploitation forestière.

    Pourquoi avoir exclu le sanctuaire?

    Mais ce n'est pas le pire, selon les deux groupes. Le plus incompréhensible, c'est le détour volontaire dans le périmètre de l'aire protégée, au nord du lac, pour y exclure la rivière Némiscachingue et ainsi laisser les compagnies forestières y prélever les épinettes jusqu'au bord de l'eau.

    Pourtant, cette rivière est tellement vulnérable et sensible qu'elle a été déclarée l'un des rares sanctuaires de pêche au Québec, il y a une vingtaine d'années.

    Cette rivière est une frayère à dorés jaunes à ce point productive et importante pour tous les lacs situés en aval, ceux qui donnent naissance à la rivière du Lièvre, que le gouvernement a décidé d'y interdire la pêche. Des biologistes sont déjà venus y prélever des gros géniteurs pour ensemencer d'autres lacs.

    «La seule chose qu'ils devaient protéger à tout prix avec cette aire protégée, c'est la rivière et tout ce qui l'entoure. Mais non, ils ont permis aux compagnies forestières de venir couper jusqu’au bord de ce sanctuaire. C’est une catastrophe!», lance Michel Desjardins, découragé par la tournure des événements.

    «Pourquoi ont-ils laissé un trou comme ça en plein où on leur demandait de tout protéger? C’est illogique», poursuit Henman Niquay, un Atikamekw qui fait avancer le dossier pour le conseil de bande.

    «Si toutes les aires protégées par le gouvernement sont comme ici, ajoute Michel Desjardins, c’est de la poudre aux yeux qu’on nous lance juste pour se donner l’air écolo, alors que c’est l’industrie qui compte avant tout.»

    Un consensus «socioéconomique»

    Patrick Beauchesne, le grand patron des aires protégées au ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP), ne cache pas que le périmètre de ces territoires sauvegardés est le fruit d’une consultation et, surtout, dit-il, d’un consensus «socioéconomique». «Il n’y a pas seulement des aspects environnementaux, dit-il. Dans le Nord, il y a aussi des questions économiques. L’aire du lac Némiscachingue est déjà très vaste pour le Sud, dit-il, et tous les promoteurs en voudraient toujours plus.»

    Il précise toutefois que l’aire protégée du lac Némiscachingue n’est qu’une réserve de biodiversité projetée. Cela signifie qu’il se passera au moins trois autres années avant qu’elle ne devienne permanente, qu’il y aura d’autres consultations et que les personnes insatisfaites auront la possibilité de se faire entendre. D’ailleurs, Henman Niquay a bien l’intention de se faire entendre. Le périmètre de l’aire protégée ne fait pas du tout son affaire ni celle des familles autochtones concernées.

    Il proposera sous peu les modifications qu’il souhaite voir apporter à ce territoire ancestral. «On ne veut pas arrêter toute la production forestière, dit-il, mais on veut conserver des territoires intacts pour nos lignes de trappe et pour les générations futures.»

    Les bûcherons s’en viennent

    Entre-temps, les bûcherons approchent. La scierie Forget de Saint-Jovite, qui possède les droits de coupe dans ce secteur, s’apprête à construire un pont sur une autre rivière d’ici deux semaines (voir autre texte), ce qui lui donnera éventuellement accès à tout ce territoire exclu de l’aire protégée.

    «On est encore à bonne distance; nous ne serons pas là avant cinq, six ou sept ans», soutient François Lapalme, responsable de l’approvisionnement forestier chez Forget. Celui-ci reconnaît toutefois que ce sera la première fois que l’entreprise exploitera la forêt aux abords d’une rivière déclarée sanctuaire. «On va avoir le temps de s’informer pour savoir comment faire», dit-il.

    Justement, qui sait vraiment comment faire?

    Personne n’a encore pu expliquer au Journal quel serait l’effet des changements dans le drainage des sédiments occasionnés par l’exploitation forestière pour le sanctuaire, pour la frayère et pour la chimie de l’eau de la rivière.

     

  • Le 29 mars, le gouvernement a annoncé 14 nouvelles aires protégées et que 8,12% de tout le territoire québécois serait sauvegardé, dépassant du même coup son objectif de 8%. Le premier ministre Jean Charest a lui-même indiqué que la superficie totale des aires protégées était portée à 135 326 kilomètres carrés.
  • http://www.canoe.com/infos/environnement/archives/2009/06/20090607-072856.html

     


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